Les romantiques de la Rome antique versifiaient
déjà, pour être aimés, autour du prénom de l’être aimé. Il existait, en vente
libre dans toutes les bonnes libraria,
une vingtaine de déclarations d’amour type. Pourquoi vingt me direz-vous ?
Parce que, vous répondrais-je, les Romains, pragmatiques, ne laissaient
coexister dans leur langue qu’une quarantaine de prénoms dont seuls la moitié
étaient fréquents.
Vous me voyez venir… Qu’en
est-il aujourd’hui ?
Revenons, si vous le voulez
bien et parce que tels sont mes desiderata,
aux origines : prénom, du latin praenomen,
de prae préfixe avec le sens de
« avant, devant » et nomen,
nom. Un prénom est un nom particulier, joint au nom patronymique, servant à
désigner les différentes personnes d’une même famille.
Celle-ci, n’excédant que
rarement quarante rejetons chez le vulgum
pecus romanorum, se satisfaisait parfaitement des possibilités offertes.
Quid de la situation actuelle ? Un glissement de sens s’est
opéré de la famille à l’ensemble de l’humanité…
En effet, il ne s’agit plus
aujourd’hui de distinguer les quelques membres d’une même famille mais bien
l’ensemble des individus de la famille humaine, comme si nous étions tous
affublés du même patronyme, comme si la planète entière était animée de la
chorée de la Corée.
Dans un passé pas si lointain,
on déclarait les nouveau-nés sous les prénoms de Sophie, d’Alexandre, de
Sabine, de Patrick ou de l’un des (à la louche) trois cents prénoms du
calendrier et de ses dérivés. Aujourd’hui, à chaque nouvelle naissance dans la
famille élargie, tout un chacun peut se sentir proprement désarçonné par la
découverte d’un prénom inouï (au sens premier). C’est comme ça, il faut s’y
faire. Le maître-mot étant « développement personnel », le dernier
moutard venu doit, dès le début, sentir qu’il est unique.
Mais d’où proviennent donc
tous ces prénoms extraordinaires (toujours au sens premier) ? Cette
question que je me pose en amène immédiatement une autre que d’aucuns jugeront
peut-être naïve : peut-on inventer un prénom ?
Dubitatif, j’interroge la
toile : « inventer un prénom… ». J’arrive à « Comment bien
inventer le prénom de Bébé ? ». Si je suis passablement ébahi de
constater que certaines et certains ont déjà mûrement réfléchi à la question,
je le suis tout autant de la façon dont la question est formulée : « Comment
bien inventer… ? ».
Inventer, c’est créer,
concevoir, former un concept, une idée. Qui peut juger du bien ou du mal fondé
d’une telle idée ? Les lanceurs de modes. Ceux-ci m’expliquent que l’on
peut changer une ou deux lettres d’un prénom, qu’il s’agit d’une façon trendy (c’est le nouvel anglicisme qui
semble avoir détrôné fashion) de
sortir du lot.
Ainsi, et même si je suis plus
proche des limbes que des langes, puisque mon vœu le plus cher est de me vendre
à l’unité (sortir du lot), je vais trendyser
mon prénom : GASTON… Quelles lettres changer ? Je jette mon dévolu
sur la première et la dernière et décide de manière rigoureuse de reculer de
quatre cases (dans la grille de l’alphabet) pour la première et d’avancer de
quatre cases pour la seconde. Le G devient donc C et le N devient R. J’ai
trouvé mon nouveau prénom ! Appelez-moi désormais CASTOR.
…
Je prends un peu de recul pour
juger de l’effet. L’incertitude m’étreint, le doute tend à m’habiter. Je
cherche ce qui ne va pas mais je ne trouve pas. Pour tout dire, je m’y casse
les dents. Mon nouveau prénom, pour trendy
qu’il soit, manque peut-être encore d’originalité. Comment faire pour pousser
le concept un peu plus loin ? J’y suis ! Je vais conjuguer changement
et permutation. Je reprends donc : le G se transforme en C, le N en R et…
je permute le A et le O. Eureka ! J’ai trouvé ! Le voici enfin mon vrai
nouveau prénom à moi tout seul, taillé sur mesure et que personne d’autre que
moi ne saura enfiler !
Adieu GASTON, bonjour COSTAR !
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