lundi 1 avril 2019


            Les romantiques de la Rome antique versifiaient déjà, pour être aimés, autour du prénom de l’être aimé. Il existait, en vente libre dans toutes les bonnes libraria, une vingtaine de déclarations d’amour type. Pourquoi vingt me direz-vous ? Parce que, vous répondrais-je, les Romains, pragmatiques, ne laissaient coexister dans leur langue qu’une quarantaine de prénoms dont seuls la moitié étaient fréquents.
Vous me voyez venir… Qu’en est-il aujourd’hui ?
Revenons, si vous le voulez bien et parce que tels sont mes desiderata, aux origines : prénom, du latin praenomen, de prae préfixe avec le sens de « avant, devant » et nomen, nom. Un prénom est un nom particulier, joint au nom patronymique, servant à désigner les différentes personnes d’une même famille.
Celle-ci, n’excédant que rarement quarante rejetons chez le vulgum pecus romanorum, se satisfaisait parfaitement des possibilités offertes.
Quid de la situation actuelle ? Un glissement de sens s’est opéré de la famille à l’ensemble de l’humanité…
En effet, il ne s’agit plus aujourd’hui de distinguer les quelques membres d’une même famille mais bien l’ensemble des individus de la famille humaine, comme si nous étions tous affublés du même patronyme, comme si la planète entière était animée de la chorée de la Corée.
Dans un passé pas si lointain, on déclarait les nouveau-nés sous les prénoms de Sophie, d’Alexandre, de Sabine, de Patrick ou de l’un des (à la louche) trois cents prénoms du calendrier et de ses dérivés. Aujourd’hui, à chaque nouvelle naissance dans la famille élargie, tout un chacun peut se sentir proprement désarçonné par la découverte d’un prénom inouï (au sens premier). C’est comme ça, il faut s’y faire. Le maître-mot étant « développement personnel », le dernier moutard venu doit, dès le début, sentir qu’il est unique.
Mais d’où proviennent donc tous ces prénoms extraordinaires (toujours au sens premier) ? Cette question que je me pose en amène immédiatement une autre que d’aucuns jugeront peut-être naïve : peut-on inventer un prénom ?
Dubitatif, j’interroge la toile : « inventer un prénom… ». J’arrive à « Comment bien inventer le prénom de Bébé ? ». Si je suis passablement ébahi de constater que certaines et certains ont déjà mûrement réfléchi à la question, je le suis tout autant de la façon dont la question est formulée : « Comment bien inventer… ? ».
Inventer, c’est créer, concevoir, former un concept, une idée. Qui peut juger du bien ou du mal fondé d’une telle idée ? Les lanceurs de modes. Ceux-ci m’expliquent que l’on peut changer une ou deux lettres d’un prénom, qu’il s’agit d’une façon trendy (c’est le nouvel anglicisme qui semble avoir détrôné fashion) de sortir du lot.
Ainsi, et même si je suis plus proche des limbes que des langes, puisque mon vœu le plus cher est de me vendre à l’unité (sortir du lot), je vais trendyser mon prénom : GASTON… Quelles lettres changer ? Je jette mon dévolu sur la première et la dernière et décide de manière rigoureuse de reculer de quatre cases (dans la grille de l’alphabet) pour la première et d’avancer de quatre cases pour la seconde. Le G devient donc C et le N devient R. J’ai trouvé mon nouveau prénom ! Appelez-moi désormais CASTOR.
Je prends un peu de recul pour juger de l’effet. L’incertitude m’étreint, le doute tend à m’habiter. Je cherche ce qui ne va pas mais je ne trouve pas. Pour tout dire, je m’y casse les dents. Mon nouveau prénom, pour trendy qu’il soit, manque peut-être encore d’originalité. Comment faire pour pousser le concept un peu plus loin ? J’y suis ! Je vais conjuguer changement et permutation. Je reprends donc : le G se transforme en C, le N en R et… je permute le A et le O. Eureka ! J’ai trouvé ! Le voici enfin mon vrai nouveau prénom à moi tout seul, taillé sur mesure et que personne d’autre que moi ne saura enfiler !
Adieu GASTON, bonjour COSTAR !

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