mercredi 6 février 2019



À quoi pense-t-on quand on passe la serpillière ?

Peut-être pense-t-on en premier lieu à l’étymologie. Dans son thresor de la langue françoise, Jean Nicot, philologue de la Renaissance, évoque la sarpillière vraisemblablement dérivée de segestre qui désignait une natte (de paille), ouvrage fait de brins de matière végétale entrelacés mais Pierre Guiraud, linguiste du début du XXème siècle, lui voit une parenté avec charpiller, de charpie, qui correspond mieux selon lui au sémantisme du mot. Je vous laisse juge.
Peut-être pense-t-on également que cette tâche destinée principalement à faire disparaître les taches est en soi tellement valorisante qu’on l’accomplit toujours avec jubilation. Je vous le demande ici, qui ne s’est jamais exclamé : « Chouette ! Il faut que je passe la serpillière ! ». Il s’agit donc bien là d’un moment de grâce que l’on s’octroie à tout venant tant il est vrai que la pratique de cette activité stimule nos glandes wassinguales qui en profitent alors pour secréter endorphines, sérotonines et autres dopamines. Ne nous en privons pas.
Peut-être pense-t-on encore, pour peu que l’on s’intéresse à la vie de la cité et aux problèmes récurants qui la minent, à la raison pour laquelle les princes qui nous gouvernent n’ont pas encore eu, tout en passant le torchon à poussière sur les ors de la république, la lumineuse idée d’occuper chaque citoyen privé de labeur rémunérateur à serpiller allègrement les innombrables portions souillées de l’hexagone national. Cela aurait le triple avantage, tout en étant caustique, de redonner leur dignité à ceux qui en sont privés, de contribuer (voir paragraphe précédent) à la production d’hormones qui aideraient à combler en partie l’orifice du système redistributif que le monde entier nous envie et à redonner à la France son lustre d’antan. Le fait que cet eurêka n’ait pas encore retenti sous les caissons des plafonds de nos palais républicains est parfaitement inexplicable.
Peut-être pense-t-on enfin qu’il est bien heureux, et nous devons tous sur ce point faire gafa ce que cela n’arrive pas, qu’aucun trans voire posthumaniste mexicain de la chili con vallée, n’ait encore songé à créer une « appli » permettant à ces prolongements brachiaux que sont nos mobiles multifonctions d’effectuer à notre place cette œuvre si spécifiquement humaine (« Deux choses distinguent l’homme des autres animaux, celui-là est doué de conscience alors que ceux-ci ne pensent qu’à manger et à se reproduire, celui-là passe la serpillière alors que ceux-ci ne pensent qu’à faire des taches », Charles Darwin, About the differences between wild animals and domesticated humans, 1861). Sans cela, la question du sens de la vie resterait à jamais sans réponse.

Si vous pensez encore à autre chose en passant la serpillière, je ne puis que vous inviter chaleureusement à partager votre expérience, à travers un commentaire, avec notre communauté de lectrices à laquelle s’est agrégé, voyez je ne vous oublie pas (clin d’œil de connivence de genre), un courageux lecteur.

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