À quoi pense-t-on quand on
passe la serpillière ?
Peut-être pense-t-on en
premier lieu à l’étymologie. Dans son thresor
de la langue françoise, Jean Nicot, philologue de la Renaissance, évoque la
sarpillière vraisemblablement dérivée
de segestre qui désignait une natte
(de paille), ouvrage fait de brins de matière végétale entrelacés mais Pierre
Guiraud, linguiste du début du XXème siècle, lui voit une parenté
avec charpiller, de charpie, qui correspond mieux selon lui
au sémantisme du mot. Je vous laisse juge.
Peut-être pense-t-on également
que cette tâche destinée principalement à faire disparaître les taches est en
soi tellement valorisante qu’on l’accomplit toujours avec jubilation. Je vous
le demande ici, qui ne s’est jamais exclamé : « Chouette ! Il
faut que je passe la serpillière ! ». Il s’agit donc bien là d’un
moment de grâce que l’on s’octroie à tout venant tant il est vrai que la
pratique de cette activité stimule nos glandes wassinguales qui en profitent alors
pour secréter endorphines, sérotonines et autres dopamines. Ne nous en privons
pas.
Peut-être pense-t-on encore, pour
peu que l’on s’intéresse à la vie de la cité et aux problèmes récurants qui la
minent, à la raison pour laquelle les princes qui nous gouvernent n’ont pas
encore eu, tout en passant le torchon à poussière sur les ors de la république,
la lumineuse idée d’occuper chaque citoyen privé de labeur rémunérateur à
serpiller allègrement les innombrables portions souillées de l’hexagone
national. Cela aurait le triple avantage, tout en étant caustique, de redonner
leur dignité à ceux qui en sont privés, de contribuer (voir paragraphe
précédent) à la production d’hormones qui aideraient à combler en partie l’orifice
du système redistributif que le monde entier nous envie et à redonner à la France
son lustre d’antan. Le fait que cet eurêka n’ait pas encore retenti sous les caissons
des plafonds de nos palais républicains est parfaitement inexplicable.
Peut-être pense-t-on enfin qu’il
est bien heureux, et nous devons tous sur ce point faire gafa ce que cela n’arrive
pas, qu’aucun trans voire posthumaniste mexicain de la chili con vallée, n’ait
encore songé à créer une « appli » permettant à ces prolongements
brachiaux que sont nos mobiles multifonctions d’effectuer à notre place cette œuvre
si spécifiquement humaine (« Deux choses distinguent l’homme des autres
animaux, celui-là est doué de conscience alors que ceux-ci ne pensent qu’à
manger et à se reproduire, celui-là passe la serpillière alors que ceux-ci ne
pensent qu’à faire des taches », Charles Darwin, About the differences between wild animals and
domesticated humans, 1861). Sans cela, la question du sens de la vie
resterait à jamais sans réponse.
Si vous pensez encore à autre
chose en passant la serpillière, je ne puis que vous inviter chaleureusement à
partager votre expérience, à travers un commentaire, avec notre communauté de
lectrices à laquelle s’est agrégé, voyez je ne vous oublie pas (clin d’œil de
connivence de genre), un courageux lecteur.
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