mercredi 17 mai 2023

Prenez un contenant apte à recevoir du contenu, du contenu liquide. Privilégiez donc un contenant étanche, l’un de ceux dont les parois ne laisseront pas échapper le fluide dont on l’aura empli.

Vous pourriez choisir une gourde en peau comme celles que l’on ramenait de vacances quand on allait, malgré le choc pétrolier, passer l’été sur les plages du Caudillo mais l’expérience ne sera pas probante compte-tenu de l’opacité des parois du récipient.

Vous pourriez choisir un bocal à conserves comme ceux dans lesquels votre maman (ou votre papa s’il était avant-gardiste) avait mis à stériliser les quetsches dénoyautées que vous aviez cueillies à la fin de ce premier été passé avec François, Pierre, Robert et les autres mais l’expérience ne serait pas probante car vous avez refermé le bocal vide sur le joint en caoutchouc qui a moisi, coulé et finalement scellé le récipient.

Vous pourriez choisir un sac en plastique transparent comme celui dans lequel vous aviez, à l’occasion de la tombola de l’Exposition Avicole fêtant le cinquième anniversaire de la réunification allemande, ramené ce poisson rouge obèse qui s’était mis, dès le lendemain, à nager sur le dos, le ventre gonflé, dans le verre Duralex où vous l’aviez transféré mais l’expérience ne sera pas probante compte-tenu, cette fois, du manque de rigidité des parois du récipient.

Pour faire simple, et ce sans vouloir vous contraindre, prenez un vase. Disons un vase en verre transparent. Posez ce vase sur la table de la cuisine ou, à défaut si vous n’avez pas de table dans votre cuisine, sur le sol carrelé de la cuisine ou, à défaut si vous n’avez pas de sol carrelé dans votre cuisine, sur le bord du lavabo de la salle de bains ou, à défaut si vous en avez assez de ce petit jeu idiot, sur n’importe quelle surface plane et stable à proximité d’un robinet.

Là, bien entendu, vous me voyez venir. Qui dit robinet dit eau, sauf dans certains villages des Pyrénées Orientales où une sécheresse séculaire donne un avant-goût de ce que pourrait être le quotidien de vos petits-enfants, et qui dit eau dit vase, vase au fond des cours d’eau asséchés mais aussi vase à remplir avec l’eau du robinet !

Aussitôt dit, aussitôt fait, vous remplissez à présent votre vase à ras bord c’est-à-dire sans dépasser le bord mais sans l’antepasser non plus, c’est-à dire encore pile-poil de manière à ce qu’on ne puisse plus y ajouter une seule goutte.

J’espère dès lors que, pour les besoins de l’expérience, vous êtes apte à translater le vase rempli, je le répète, à ras bord vers la surface plane et stable que vous aurez choisie sinon, si vous faites le zapla (comme on dit dans la vallée de Munster) et que vous en étalez au large, il ne vous reste plus qu’à suivre l’expérience sur les réseaux sociaux si tant est que vous connaissiez quelqu’une ou quelqu’un qui, à la fois, fasse partie de l’échantillon expérimental (le panel comme on dit dans la vallée de Soultzmatt) et vous accepte comme ami ce qui, compte-tenu de la performance que vous venez de réaliser, n’est pas gagné d’avance.

Ceci-dit, et surtout ceci-fait, vous vous retrouvez donc face à votre vase rempli à ras bord, posé sur une surface plane et stable, et vous êtes prête, ou prêt suivant le genre (ou le sexe ? j’essaie de bien faire mais je ne m’y retrouve pas toujours) que l’on vous a arbitrairement attribué à la naissance, à poursuivre l’expérience.

Là, munie ou muni d’un compte-gouttes, ou d’une petite seringue comme vous en trouvez avec les flacons d’antibiotiques pour enfants ou les solutions-mères de vos potions phyto-thérapiques, ajoutez une goutte, attention ! une goutte et une seule car de votre précision dépendra la validité de l’expérience, d’eau dans le vase rempli à ras bord.

Et voilà !

Finalement, que constatez-vous ? Que le vase déborde ? Je ne suis pas vraiment d’accord.

Aux heures de pointe, le rer a déborde de voyageurs, le 22 septembre 1992 la Romaine déborde à Vaison, parfois mon cœur déborde de joie, ces débordements sont des mouvements d’ampleur, d’abondance, il y a profusion !

Et là, que se passe-t-il en réalité ?

Il se passe qu’une goutte, une seule et unique goutte, une malheureuse goutte qui, cruauté du sort, n’est généralement pas celle que vous venez de faire choir de votre compte-gouttes mais celle qui, la plus insouciante de toutes, se tenait encore il y a quelques instants au ras du bord, celle qui, regardant l’outre-bord, se disait qu’elle était bien de ce côté de la frontière du bord et qui, poussée par un enchaînement de phénomènes physiques que je renonce à développer ici, s’est retrouvée, à son corps défendant, propulsée au dehors, là où aucune autre goutte ne souhaite aller goutter.

C’est pourquoi, ne souhaitant pas hurler avec les loups, je ne dirais pas que la goutte a fait déborder le vase mais je dirais que la goutte responsable, celle sur qui l’opprobre doit être jetée, celle qu’on ne songe généralement pas à incriminer et dont je vous invite d’autant plus à vous méfier que c’est vous qui avez, par votre aide à sa propulsion, été à l’origine de la tragédie qu’elle a causée, je dirais que cette goutte donc n’a fait que spolier, insidieusement, l’une de ses congénères de la place qu’elle avait parmi ses semblables.

Il me semblait essentiel de vous entretenir de cela aujourd’hui.


 

1 commentaire:

  1. Pas très gentil, pour les personnes malades, d'insinuer que c'est leur problème de goutte qui a fait déborder le vase… ;-)

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