vendredi 14 mai 2021

  N’étant pas moi-même écrivain, je me suis toujours demandé comment les écrivains écrivaient. Quand on les questionne sur leur façon de travailler, aucun ne s’y prend de la même manière. L’un écrit dans l’allégresse, l’autre dans la peine, sur du papier ou sur un clavier, le jour ou la nuit, en français ou en espagnol, à jeun ou le ventre plein, à jeun ou imbibé. Presque tous s’accordent cependant sur le fait qu’il s’agit d’un véritable travail nécessitant constance et rigueur, qu’il n’est pas possible d’écrire par-dessus la jambe.

Alors, j’ai voulu en faire l’essai. J’étais dans un état d’esprit plutôt joyeux, face à ma feuille blanche, c’était la fin de l’après-midi, j’avais décidé de m’exprimer en français et je n’avais ni mangé ni bu depuis plus de quatre heures.

Saisissant mon stylo de la main gauche, j’ai d’abord logiquement tenté d’écrire par-dessus ma jambe gauche. Je me suis rapidement aperçu que ce n’était guère possible car, que je place ma feuille à gauche de ma jambe gauche ou à droite de ma jambe gauche mais à gauche de ma jambe droite (c’est-à-dire entre mes deux jambes), je n’avais à aucun moment la sensation d’écrire par-dessus ladite jambe. Il aurait certainement fallu pour cela que je prenne mon stylo dans l’autre main mais, n’étant pas très adroit, j’ai préféré ne pas tenter l’expérience.

Ne m’avouant cependant pas vaincu, j’ai réfléchi et fini par conclure que la seule solution serait pour moi d’écrire de la main gauche par-dessus la jambe droite.

Je me suis donc à nouveau installé, à même le sol, en position assise car je me suis dit que je n’aurais pas le bras assez long pour écrire couché par-dessus la jambe, j’ai posé ma feuille à droite de ma jambe droite et saisi mon stylo de la main gauche. Mais la torsion de mon buste et la cambrure de ma colonne vertébrale ont presque immédiatement fait apparaître des douleurs que je n’étais pas enclin à supporter.

J’ai donc changé mon fusil d’épaule et mon séant de support en m’installant dans mon fauteuil. Hissant alors ma jambe droite sur le bureau, j’ai posé une autre feuille, car j’avais oublié la précédente par terre, à droite de cette jambe et décapuchonné le même stylo que j’avais heureusement pensé à me mettre sur l’oreille. Puis, j’ai commencé à écrire :

Vous avouerez avec moi que le résultat n’est pas très probant.

N’étant toujours pas, dans l’intervalle de temps écoulé entre le début et la fin de la rédaction de ce texte, devenu écrivain, je peux cependant définitivement affirmer avec eux qu’il n’est pas possible d’écrire sérieusement par-dessus la jambe.

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