jeudi 12 novembre 2020

J(*)’ai toujours pensé, depuis que je songe à ce genre de choses, que novembre serait le meilleur mois pour me pendre.

Sur la colline, quelques feuilles d’un fabuleux jaune d’or ornent encore la cime du cerisier. Si, il y a quelques mois encore, ses fruits tombaient sous la feuille en gouttes de sang, ses branches presque nues s’offrent aujourd’hui à moi comme autant de potentielles potences.

Les conditions sont idéales. Un vent lourd et tiède comme l’haleine d’une bête malfaisante agite paresseusement les dernières oriflammes de l’automne. Une bruine pénétrante fait reluire l’écorce sous laquelle la sève ne circule plus. Je suis prêt.

Au fond de l’appentis, je décroche du clou la corde à laquelle j’ai déjà fait un nœud coulant. Le chanvre tressé dans une main, un tabouret dans l’autre, je marche vers l’arbre.

 Progressant à pas lents dans l’herbe mouillée, certaines images me reviennent à l’esprit. Elles arrivent dans l’ordre chronologique, « C’est bon signe, me dis-je, c’est ma vie qui défile ».

Arrivé sous l’arbre, je jette autour de moi un dernier regard. En contrebas, la petite maison dans laquelle j’ai passé les dernières années de ma vie disparaît déjà dans la brume de la fin du jour. Le chemin vicinal qui borde le pré se perd également au fond de la vallée. Au-dessus de ma tête, par delà les branches maîtresses du cerisier qui m’offriront bientôt ma planche de salut, le ciel s’obscurcit.

Je pose le tabouret à terre, grimpe sur son assise et, tendant les bras, j’enroule la corde dont j’assure la fixation grâce à deux nœuds solides. Je passe la tête dans la boucle que j’ajuste autour de mon cou, ferme les yeux et repousse le tabouret d’un vigoureux coup de pied.

 

J’aperçois une lumière blanche, « c’est normal, me dis-je, il paraît que ça se passe comme ça ». La lumière grandit, j’écarquille les yeux et découvre un plafond blanc. Je suis couché sur le dos. Alors que je tourne la tête pour apercevoir, à ma gauche, une table de nuit en mélaminé portée par une structure de tubes métalliques, j’entends une porte s’ouvrir. Regardant dans la direction d’où semblait venir le bruit, je vois s’approcher de moi un homme à la grande barbe blanche portant une blouse immaculée. Juste derrière lui, un autre homme, plus petit, tout de bleu vêtu et portant képi, s’avance et passe au premier plan. Son regard inquisiteur se plante dans mes yeux hagards. Sa voix bourrue me parvient alors de derrière son masque :

« Les gens qui, comme vous, bafouent sciemment les lois de la république font beaucoup de tort à l’ensemble de la nation. Sous prétexte que vous vivez loin du monde, vous pensiez pouvoir déroger à la règle ! Mais la justice passe partout, même dans les endroits les plus reculés. Que faisiez-vous dehors sans masque et sans attestation ? Il vous en coûtera cent trente cinq euros et tâchez qu’on ne vous y reprenne plus ! »

 

(*) : Maman, Papa, ne vous inquiétez pas ! Le graphomane a cette liberté d’user du « je » pour s’exprimer à la place d’un personnage fictif pour lequel, dans ce cas précis et suivant la formule consacrée, toute ressemblance avec l’auteur de ces lignes serait parfaitement fortuite.

 


 

 

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