Les vieux dînent tôt. L’autre soir, quand j’arrive à l’entrée de la cafétéria du grand supermarché de la zone commerciale qui a bétonnisé les abords de la ville, je constate que le personnel est encore à table. Perspicace, j’en conclus que je suis un peu en avance.
Souvenez-vous, c’était le 17 novembre 2023 (vous pouvez aisément retrouver ce texte en consultant, en bas de page, les archives du blogue), je vous avais expliqué pourquoi, malgré tout ce qui me défend de m’aventurer en de tels lieux, je ne résiste pas une ou deux fois l’an à l’appel de la bananeraie. La chair est faible, comme le rapportent Matthieu et Marc dans leurs évangiles respectives.
Certes me répète-je, la chair est faible mais … l’esprit est ardent ! Du coup, ni une ni deux, j’emprunte l’escalier mécanique jouxtant l’entrée du soi (self en bon français) qui m’emmène sinon au paradis, au moins au niveau de l’espace culturel. Espérant ainsi cultiver un peu mon esprit en attendant de nourrir mon corps, je déambule alors dans les rayons garnis de livres imprimés jusqu’à m’arrêter devant un îlot surmonté d’une affichette indiquant que je trouverai ici, si je le désire, toutes les nouveautés du moment en même temps que les gros succès de vente actuels.
Curieux, je me mets à détailler l’empilement des ouvrages que j’ai sous les yeux. Premier constat, ceux-ci ne sont pas présentés comme dans les autres rayons. Ce qui, la plupart du temps, s’offre ici à la vue n’est pas la tranche du livre mais la tronche de celui qui est réputé l’avoir écrit. Sagace, je me dis qu’il doit s’agir d’une technique de marchandisage destinée à augmenter les ventes.
Une observation plus poussée me permet de remarquer que toutes les piles n’ont pas la même hauteur. Et là, comme j’avoue humblement ne pas être expert en la matière, je ne sais quelle explication donner à ce phénomène. Quid de la hauteur d’une pile ? Un nombre restreint d’exemplaires signifie-t-il que de nombreux autres ont déjà été vendus ou que l’espacier·ère estime, compte-tenu des données sociologiques de sa clientèle, qu’il n’en vendra que peu ? À l’opposé, une pile conséquente est-elle le signe d’une erreur de prévision ou celui d’une judicieuse anticipation de ventes pléthoriques ?
Deux productions écrites attirent alors mon regard. Carapace, j’en déduis qu’ils sont stratégiquement placés sous le meilleur éclairage pour susciter mon attention. Je tombe donc volontairement dans le panneau et m’en approche. Le premier, intitulé Mémoricide, signé par le propriétaire bien connu d’un parc d’attractions vendéen est édité chez Fayard et le second, intitulé Ce que je cherche, signé par un non moins bien connu ex-futur premier ministre est édité chez Fayard. Essuie-glace, je me demande si cette maison d’édition est pour le moins complaisante avec les thèses de l’extrême-droite ou si, dans un réflexe capitaliste compulsif, elle ne mise que sur les chevaux qui ont la cote, sans aucune distinction d’écurie.
Le dernier cité attire d’autant plus le regard qu’il est le seul de tout l’îlot à bénéficier de deux piles accolées. Marchand de glace, je m’interroge alors, comme à propos de l’éditeur, sur l’éthique et la déontologie de l’espace culturel.
S’interroger ne signifie pas préjuger. Avant de porter un jugement, il est nécessaire de réunir des preuves afin d’étayer son propos, ne pas tomber dans les travers de l’adversaire, ne pas désinformer pour mieux régner.
Monospace, je me saisis donc de mon téléphone et compose le numéro dudit espace culturel. Au bout de deux « je vous passe mon collègue », j’entre en communication avec la personne qui sait savoir quels sont les livres en rayon et je lui demande, l’air de rien, si le livre Résister de la journaliste Salomé Saqué publié aux éditions Payot est actuellement disponible. On me répond que non, qu’il ne l’est plus mais qu’on peut me le commander. L’air de moins que rien cette fois, je lance un « S’il ne l’est plus, c’est qu’il l’a été… » auquel il m’est cette fois répondu que oui, « Oui il l’a été et il s’est même très bien vendu ! ». En partie rassuré, je remercie, je dis que non je ne souhaite pas le commander (pour la bonne et simple raison que je l’ai sous les yeux et que j’ai terminé de le lire il y a peu, (raison que je ne fais pas valoir à mon interlocuteur qui pourrait dès lors penser que je me moque de lui alors que pas du tout)), je remercie et je raccroche.
En partie rassuré seulement donc car l’espace culturel du grand supermarché de la zone commerciale de la ville ne peut pas être taxé d’indulgence envers les idées de l’extrême-droite, il suit une logique purement commerciale, il vend ce qui se vend et il est heureux que, dans ce cadre-là, un ouvrage comme celui de cette jeune femme que je juge important voire essentiel soit lu par beaucoup à défaut de l’être par tous.
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