mercredi 9 janvier 2019


J’ai deux manières de nettoyer ma cuisine : en surface et à fond. Quand c’est à fond, je déplace les objets pour nettoyer dessous et derrière. Et qu’est-ce que je découvre ce matin en manutentionnant ma cafetière ? Un bretzel électrique !
Me revient alors presque instantanément en mémoire un texte écrit il y a plusieurs années déjà et publié dans mes « Chroniques d’une année ordinaire ».
Alors, dites-moi simplement que je cède à la facilité et, promis, je ne le ferai plus mais j’ai eu envie d’exhumer ce texte pour le faire connaître à celles et celui* qui ne le connaissent pas encore en espérant que celles et celui* qui l’ont déjà lu prendront quand même un peu de plaisir à le relire.

* : cher lecteur, puisque je sais que tu existes (voir dimanche 23 décembre 2018), tu connais peut-être déjà ce texte, ou pas. Honnêtement, je ne m’en souviens plus. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de te placer dans les deux catégories. Ne m’en tiens pas rigueur je t’en prie, merci.


Fulrad Krutbur est paysan à Niederoberuntersheim. A la belle saison, il mène ses vosgiennes au vosgeage. Entendez par là qu’il envoie paître ses vaches dans les pâturages des montagnes et qu’il les y accompagne. Sa marcairerie se situe au bout du dernier chemin sur la droite, avant le col. Il n’en a jamais fait un fromage mais il a passé sa vie à traire ses belles en leur caressant amoureusement le pis, à chauffer leur lait, à l’emprésurer avec mesure, à attendre qu’il caille malgré la chaleur, à l’égoutter sans faire le dégoûté, à saler, à démouler, à laver puis à affiner le produit de leurs mamelles.
Mais aujourd’hui, à la bourse de Mulhmar, le cours du munster est plus bas que terre. Fulrad doit se diversifier pour survivre. Il construit un faux chemin défoncé en vrai macadam pour que les faux 4x4 des vrais touristes puissent monter visiter son domaine sans descendre de voiture, leur évitant ainsi de marcher en tongs dans les bouses. Et ça marche ! Jusqu’au jour où un touriste américain procédurier qui avait maculé de boue les pneus de sa fausse Jeep porte plainte pour dégradation de bien privé d’autrui, le cochon ! Le marcaire doit stopper son activité pour se rendre aux convocations de la justice de son pays. Il échappe à une demande d’extradition émanant du gouvernement fédéral américain mais ne peut éviter le verdict de la cour qui le condamne à nettoyer les pneus souillés, ce qui est humiliant mais peu onéreux. Il fait appel, il n’aurait pas du, et se voit cette fois dans l’obligation de faire installer, à la fin du circuit de visite de son exploitation, un tunnel de lavage adapté à tous véhicules, de la voiture sans permis à l’autocaravane, ce qui est humiliant et onéreux.
Voyant ainsi son pot-au-lait se briser, voyant sous ses yeux s’envoler le veau, le cochon, la couvée mais surtout la vache, il s’assied au milieu de son pré et se met à pleurer à chaudes larmes dont l’acidité, due à sa récente consommation excessive de vin blanc du cru, jaunit instantanément l’herbe grasse du pâturage. Les torrents qui se déversent de ses yeux finissent par emporter la terre laissant ainsi la roche à nu. Fulrad a expurgé toute l’eau de son corps, il pleure à sec, les yeux clos. Finissant par relever les paupières, il observe sur le sol une multitude de formes entrelacées dont il connaît les courbes par cœur. Machinalement, il en saisit une qu’il mord à plein dentier. En signe de protestation, ses huit incisives factices se déchaussent et provoquent, au départ de sa mâchoire, une onde de douleur qui parcourt tout son corps. Il observe alors le bretzel qu’il tient encore dans la main et finit par se rendre compte que celui-ci est fossilisé ! Intrigué, il creuse alors la terre un peu plus loin et tombe sur d’autres spécimens qui, s’ils se détachent parfois de la roche, restent pour la plupart intimement liés à la masse.
Il fait part de sa découverte à l’AJGAVHL, l’Association des Joyeux Géologues Amateurs de la Vallée Hop La, dont une délégation se rend rapidement sur les lieux. Incrédules, ils découvrent le fabuleux gisement de bretzels fossilisés que Fulrad a mis à jour. Déblayant la terre sur une surface plus conséquente, ils constatent que cette couche suit rigoureusement les plis géologiques du terrain. Ils n’osent en croire leurs yeux, ils font alors appel à leur copain Yves qui laisse un petit mot à Lucy avant de venir rejoindre ses joyeux amis. Sur place, il confirme leur intuition. Ils tombent tous dans les bras les uns des autres exprimant leur joie à coups de « tzik a tzik a tzik aïe aïe aïe ! » et se mettent à danser en rond sous les yeux éberlués du marcaire. Quand on lui explique enfin les raisons de la liesse générale, il n’a encore aucune idée de l’impact extraordinaire de sa découverte. Le paysan vient de mettre à jour le chaînon manquant de l’évolution géologique de la terre alsacienne ! Les scientifiques se sont longtemps cassé les dents sur cette période manquante du Bretzelien, entre le Fleischnackanien et le Kougelhopfien et lui, Fulrad Krutbur, vient d’apporter la dernière pièce au puzzle !
Les équipes de géologues, paléontologues, et bretzelologues du monde entier arrivent bientôt sur le site et le marcaire ruiné se transforme en homme d’affaires avisé assurant le couvert et le gîte à tous ces scientifiques. Il achète et fait installer le tunnel de lavage, revend le domaine à un gogo bobo et s’offre un pavillon, dans la vallée, sur la façade duquel il fait peindre deux vosgiennes (les vaches) hilares passant chacune la tête dans l’une des deux boucles d’un énorme bretzel fossilisé.
Il meurt un dimanche, à l’heure de l’apéritif, en s’étouffant avec un ridicule petit morceau de la fameuse brioche salée par laquelle tout est arrivé.

En fait, elle est mince la terre les petits amis.

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