J’ai
deux manières de nettoyer ma cuisine : en surface et à fond. Quand c’est à
fond, je déplace les objets pour nettoyer dessous et derrière. Et qu’est-ce
que je découvre ce matin en manutentionnant ma cafetière ? Un bretzel
électrique !
Me
revient alors presque instantanément en mémoire un texte écrit il y a plusieurs
années déjà et publié dans mes « Chroniques d’une année ordinaire ».
Alors,
dites-moi simplement que je cède à la facilité et, promis, je ne le ferai plus
mais j’ai eu envie d’exhumer ce texte pour le faire connaître à celles et celui*
qui ne le connaissent pas encore en espérant que celles et celui* qui l’ont
déjà lu prendront quand même un peu de plaisir à le relire.
* : cher
lecteur, puisque je sais que tu existes (voir dimanche 23 décembre 2018), tu
connais peut-être déjà ce texte, ou pas. Honnêtement, je ne m’en souviens plus.
C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de te placer dans les deux catégories.
Ne m’en tiens pas rigueur je t’en prie, merci.
Fulrad Krutbur
est paysan à Niederoberuntersheim. A la belle saison, il mène ses vosgiennes au
vosgeage. Entendez par là qu’il envoie paître ses vaches dans les pâturages des
montagnes et qu’il les y accompagne. Sa marcairerie se situe au bout du dernier
chemin sur la droite, avant le col. Il n’en a jamais fait un fromage mais il a
passé sa vie à traire ses belles en leur caressant amoureusement le pis, à chauffer
leur lait, à l’emprésurer avec mesure, à attendre qu’il caille malgré la
chaleur, à l’égoutter sans faire le dégoûté, à saler, à démouler, à laver puis
à affiner le produit de leurs mamelles.
Mais
aujourd’hui, à la bourse de Mulhmar, le cours du munster est plus bas que
terre. Fulrad doit se diversifier pour survivre. Il construit un faux chemin
défoncé en vrai macadam pour que les faux 4x4 des vrais touristes puissent
monter visiter son domaine sans descendre de voiture, leur évitant ainsi de marcher
en tongs dans les bouses. Et ça marche ! Jusqu’au jour où un touriste
américain procédurier qui avait maculé de boue les pneus de sa fausse Jeep
porte plainte pour dégradation de bien privé d’autrui, le cochon ! Le
marcaire doit stopper son activité pour se rendre aux convocations de la
justice de son pays. Il échappe à une demande d’extradition émanant du
gouvernement fédéral américain mais ne peut éviter le verdict de la cour qui le
condamne à nettoyer les pneus souillés, ce qui est humiliant mais peu onéreux.
Il fait appel, il n’aurait pas du, et se voit cette fois dans l’obligation de
faire installer, à la fin du circuit de visite de son exploitation, un tunnel
de lavage adapté à tous véhicules, de la voiture sans permis à l’autocaravane,
ce qui est humiliant et onéreux.
Voyant ainsi son
pot-au-lait se briser, voyant sous ses yeux s’envoler le veau, le cochon, la
couvée mais surtout la vache, il s’assied au milieu de son pré et se met à
pleurer à chaudes larmes dont l’acidité, due à sa récente consommation
excessive de vin blanc du cru, jaunit instantanément l’herbe grasse du
pâturage. Les torrents qui se déversent de ses yeux finissent par emporter la
terre laissant ainsi la roche à nu. Fulrad a expurgé toute l’eau de son corps,
il pleure à sec, les yeux clos. Finissant par relever les paupières, il observe
sur le sol une multitude de formes entrelacées dont il connaît les courbes par
cœur. Machinalement, il en saisit une qu’il mord à plein dentier. En signe de
protestation, ses huit incisives factices se déchaussent et provoquent, au
départ de sa mâchoire, une onde de douleur qui parcourt tout son corps. Il
observe alors le bretzel qu’il tient encore dans la main et finit par se rendre
compte que celui-ci est fossilisé ! Intrigué, il creuse alors la terre un
peu plus loin et tombe sur d’autres spécimens qui, s’ils se détachent parfois
de la roche, restent pour la plupart intimement liés à la masse.
Il fait part de
sa découverte à l’AJGAVHL, l’Association des Joyeux Géologues Amateurs de la
Vallée Hop La, dont une délégation se rend rapidement sur les lieux.
Incrédules, ils découvrent le fabuleux gisement de bretzels fossilisés que
Fulrad a mis à jour. Déblayant la terre sur une surface plus conséquente, ils
constatent que cette couche suit rigoureusement les plis géologiques du
terrain. Ils n’osent en croire leurs yeux, ils font alors appel à leur copain
Yves qui laisse un petit mot à Lucy avant de venir rejoindre ses joyeux amis.
Sur place, il confirme leur intuition. Ils tombent tous dans les bras les uns
des autres exprimant leur joie à coups de « tzik a tzik a tzik aïe aïe
aïe ! » et se mettent à danser en rond sous les yeux éberlués du
marcaire. Quand on lui explique enfin les raisons de la liesse générale, il n’a
encore aucune idée de l’impact extraordinaire de sa découverte. Le paysan vient
de mettre à jour le chaînon manquant de l’évolution géologique de la
terre alsacienne ! Les scientifiques se sont longtemps cassé les dents sur cette
période manquante du Bretzelien, entre le Fleischnackanien et le Kougelhopfien
et lui, Fulrad Krutbur, vient d’apporter la dernière pièce au puzzle !
Les équipes de
géologues, paléontologues, et bretzelologues du monde entier
arrivent bientôt sur le site et le marcaire ruiné se transforme en homme
d’affaires avisé assurant le couvert et le gîte à tous ces scientifiques. Il
achète et fait installer le tunnel de lavage, revend le domaine à un gogo bobo
et s’offre un pavillon, dans la vallée, sur la façade duquel il fait peindre
deux vosgiennes (les vaches) hilares passant chacune la tête dans l’une des
deux boucles d’un énorme bretzel fossilisé.
Il meurt un
dimanche, à l’heure de l’apéritif, en s’étouffant avec un ridicule petit
morceau de la fameuse brioche salée par laquelle tout est arrivé.
En fait, elle est mince la terre les petits amis.
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