Je me sens tout petit. Tout
petit et excentré. Excentré en ce sens que j’ai l’impression troublante de ne
pas être au centre du monde, de ne pas être l’astre de référence autour duquel
tout gravite. C’est assez dérangeant comme sensation. Je ne suis pas loin de
penser que la grande machine cosmique ne se trouverait en aucun point
déstabilisée si je n’en faisais pas ou plus partie. C’est un peu comme si j’étais
insignifiant, infime ou inexistant.
J’ai pourtant tous les
symptômes de la cénesthésie (c’est un nouveau mot que je viens d’apprendre), de la sensation
de ma propre existence. Face au miroir, le tain de la glace ne reflète pas le
mur auquel je tourne le dos. Aux toilettes, comme dans la poubelle de la
cuisine, je suis à même de constater l’existence de ce que je produis, des
déchets la plupart du temps. Si je sors dans la rue et que je viens à croiser ma
voisine, elle me salue en m’appelant par mon nom. Et, comme disait Jean-Paul (celui qui n’était pas marié à Simone), nommer c’est faire exister. Du coup,
je conjugue à la première personne le verbe être, grâce ou à cause de la
voisine mais pas que.
J’existe donc. Au sens
étymologique, ex(s)istere, je sors de…
Je sors du ventre de ma mère, je sors du lit pour aller travailler, je sors de
la maison pour que la voisine me salue, me nomme et me confirme bien que je sors
de…, et cætera. Les preuves sont accablantes.
Alors d’où me vient cette
impression que ma propre existence, au sens philosophique cette fois, est une
infox (celui-là, je le connais depuis quelque
temps déjà, ça fait un peu novlangue mais c’est un bon vieux mot-valise bien de
chez nous et, rien que pour ça, je l’aime) ? Je crois que c’est une question d’échelle et, comme je l’évoquais
tout au début du texte, de système, d’astronomie en fait. Je me trouve
malencontreusement, ou pas d’ailleurs, placé à l’interface entre deux mondes.
Celui de l’infiniment petit dans lequel je me sens infiniment grand et celui de
l’infiniment grand dans lequel, vous l’aurez deviné, je me sens infiniment
petit.
Dans le premier de ces systèmes, héliocentré, le soleil c’est moi.
Mais, peut-être parce qu’il y fait trop chaud, peut-être parce que je m’y sens
un peu à l’étroit, peut-être parce que je laisse autrui dans l’ombre, je ne m’y
sens pas particulièrement à l’aise.
Je me sens mieux si je me définis en tant qu’infinitésimale partie du
second même s’il y fait plus froid, s’il y a tellement d’espace que je m’y
perds et si je n’y fais d’ombre à personne. En contrepartie, mon esprit est un
peu flou, j’ai du vague à l’âme.
Alors que faire dans ce monde-là ? De la lumière ?
Exploser ? Émettre des photons pour afficher ma photo partout ? Ou
bien rester à ma place ? Jouer mon rôle de petit grain de sable
insignifiant et pourtant (sans une once de
présomption) essentiel sur la
plage universelle ?
Je penche pour la deuxième solution et je devrais même, si j’étais un
peu moins velléitaire, tenter de contribuer à gripper, quand l’occasion se
présente, certaine machine inhumaine aux rouages trop bien huilés.
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